« Le meilleur acteur, c’est celui qui ne fait jamais semblant… ou presque. » – Anonyme technophile
En 2006, qui aurait cru que le quotidien d’une adolescente de 16 ans nommée Bree Avery, alias Lonelygirl15, allait enflammer YouTube avec ses confessions intimes depuis sa chambre ? Entre ses parents membres d’un culte mystérieux et d’autres péripéties rocambolesques, les fans ont découvert que tout était monté de toutes pièces par une bande d’innovateurs à Los Angeles. Même une fois démasqués et le fait que Bree n’était autre que la comédienne Jessica Lee Rose, l’engouement était tel que l’illusion a perduré. Et dire que nous prenions ce décor soigneusement arrangé de chambre d’adolescente pour argent comptant !
Aujourd’hui, quasi deux décennies plus tard, les couettes roses et les posters mélancoliques de nos chambres ont cédé la place à… l’intérieur de nos voitures ! TikTok nous a vu adopter ce nouvel espace créatif, devenu aussi standardisé que le dernier hashtag à la mode – la marque et le modèle de la voiture importent peu, du moment que c’est une voiture.
Les vidéos en voiture sont devenues aussi communes que les hashtags sur TikTok.
« C’est tellement bizarre — vraiment bizarre ! — toute cette prolifération de TikToks dans des voitures, » s’étonne Nathan Ma, humeuriste du numérique et conférencier. En observant un critique gastronomique déguster un plat indien dans l’habitacle de sa berline, le phénomène lui saute aux yeux. Apparemment, on passe à l’ère des TikToks motorisés sans broncher.
James Corden, avec son célébrissime Carpool Karaoke, a donné de la voix à cette mode, suivie par la coach vocale Cheryl Porter et ses 18.6 millions de suiveurs TikTok. De leur côté, les critiques gastronomiques, comme Keith Lee et ses 15.4 millions d’admirateurs, peuvent propulser ou couler un restaurant avec une simple chronique tournée depuis leur siège conducteur.
L’habitude de voir des gens créer à partir de leur automobile nous a conditionnés à accepter le microvlogging en stationnement sans sourciller. « La vidéo social-commentaire sur TikTok, c’est un peu comme montrer : ‘Je suis juste malin, j’ai juste eu cette idée en sortant de ma voiture' », explique temi lasade-anderson, chercheuse à King’s College London. Bien que les bagnoles soient des espaces plus éphémères que les chambres à coucher, les deux permettent une certaine intimité mais instaurent une dynamique de communication bien différente avec l’auditoire.
Le glissement de YouTube à TikTok reflète également cette évolution de l’espace privé vers l’espace public. Les vloggeurs de l’époque parlaient à cœur ouvert, tandis que les TikTokeurs d’aujourd’hui cultivent l’art de l’apparence spontanée. Mais en réalité, le décor, qu’il soit une chambre ou une banquette arrière, n’est jamais totalement ce qu’il paraît : des vidéos TikTok soigneusement répétées à Lonelygirl15 dans son faux sanctuaire, le monde numérique aime brouiller les pistes.
L’évolution esthétique du vlogging nous montre ainsi comment un changement de décor peut altérer les perceptions. De la confession intime dans une chambre d’ado à la réflexion impromptue dans un parking, les créateurs de contenu continuent de nous séduire… même si, au fond, on sait qu’il y a toujours un peu de mise en scène. Une chose est sûre : dans le monde des vlogs, comme dans la vie, il ne faudrait jamais prendre pour acquis qu’on a tout vu. Surtout si on tourne la caméra vers l’intérieur d’une voiture.
Source : Techcrunch