« Il dit qu’il voit… Il dit qu’il voit… Des robots partout ! » Et à considérer le rythme actuel, notre ami le sixième sens n’aurait pas tout à fait tort. Aujourd’hui, l’Union Européenne fait un grand pas en avant – ou un saut de l’ange, selon le camp dans lequel vous campez – en approuvant massivement une législation cadre pour la régulation de l’intelligence artificielle. Alors, bottes de sept lieues ou menottes numériques, que nous réserve ce futur où IA rime avec loi ?
Le sacro-saint « Acte sur l’IA » (EU AI Act), un grimoire concocté par la Commission en avril 2021, vient de recevoir une standing ovation (71 claquements de mains contre 8 sifflets et 7 toussotements) de la part des comités LIBE et IMCO. Selon ce parchemin, développer une IA, c’est un peu comme préparer une paella : il y a des ingrédients à privilégier et d’autres qu’il vaudrait mieux jeter aux oubliettes (comme le score social à la « Black Mirror »). Pour les usages dits à haut risque, à l’école ou à l’hôpital par exemple, gare à vous si la recette n’inclut pas des tests de qualité et une évaluation des risques dignes d’un chef étoilé. Ah, et n’oubliez pas la petite étiquette transparente pour les IA générales et les outils de type deepfakes et chatbots AI.
Mais que nos chers développeurs respirent : la plupart des applications IA seront estampillées « low risk ». Comprenez par là qu’elles pourront fleurir en toute tranquillité hors de l’enceinte légale. Et pour les cowboys de l’algorithme qui aiment jouer avec le feu, l’UE prévoit de leur construire des bacs à sable réglementaires nationaux pour développer et tester leurs créations audacieuses dans un « environnement réel » supervisé.
Un Acte bientôt acté, mais l’histoire est loin d’être terminée…
Ah, si on avait dit à l’UE il y a trois ans que ses lignes écrites sur l’IA allaient faire tourner les têtes, aussi sûrement qu’une pom-pom girl au Super Bowl, aurait-elle cru en un tel destin ? Avec l’envolée de l’intelligence artificielle générative ces derniers temps, le document est passé sous les feux des projecteurs globaux. Tandis que certains eurodéputés se sont démenés pour que le règlement tienne la dragée haute aux IA tout-terrain, d’autres, tels des coqs en pâte sous la houlette française, ont tenté de faire des passes arrière dans l’espoir – plus ou moins secret – de voir éclore des « champions nationaux ».
Mais que serait une réglementation sans un peu de suspense ? Des pourparlers interminables en décembre ont ainsi pondu un texte de compromis avec des dispositions encore en place pour les IA polyvalentes, menant à un semblant de désaccord parmi les gouvernements. Cependant, après un vote critique des états membres le mois dernier, on pourrait presque parier son premier Bitcoin sur une adoption de ce magnum opus législatif dans les quelques mois à venir.
Pourtant, toute loi qui se respecte doit passer par ces dernières épreuves : un vote en plénière puis une bénédiction finale du Conseil. Mais trêve de suspense, il semblerait que l’orage soit derrière nous. Car comme on dit dans le milieu, mettre des bâtons dans les roues maintenant reviendrait à jouer à la pétanque avec des grenades – et avec les élections parlementaires qui pointent le bout de leur nez, l’heure n’est pas à la fantaisie.
Avec un soutien qui fait chaud au cœur de ces deux comités parlementaires, après des lunes d’analyse et de débat, on peut presque voir l’Acte AI devenir réalité et prendre vie sur le sol européen dès cette année. Les mesures interdisant certaines pratiques seraient mises en place six mois après l’adoption, soit potentiellement pour le dessert des festivités de fin d’année.
Cependant, même si le vote en plénière semble être une formalité, quelques irréductibles – à l’instar du Parti Pirate – brandissent encore les pancartes de la contestation, criant à une loi « imparfaite ». Prédictions d’un avenir dystopique d’un état de surveillance high-tech ou dernier soubresaut d’une résistance déjà vaincue ? L’avenir nous le dira. Mais une chose est certaine, dans cette saga de l’intelligence artificielle où le risque se conjugue avec régulation, il semblerait qu’on ne soit pas au bout de nos surprises. Et après tout, n’oublions pas que même si l’IA prend des décisions, la palme de l’imprévisibilité reste encore et toujours à l’être humain : « errare humanum est » ou en version geek, « to bug is human ».
Source : Techcrunch